mercredi 9 janvier 2008

Os cobradores

Ils sont assis sur des fauteuils en cuir pourri,
Tassés entre le tourniquet et la fenêtre
Où cogne un soleil lourd qui leur brûle l’esprit
Et ils sont ivres, ivres de ce soleil traître…

Fourbus, ils fondent dans un sommeil impossible,
Balancés de gauche à droite comme pantin,
Leur tête est une chose, tristement insensible,
Où un jus épais coule du soir au matin.

A force d’être assis, certains n’ont plus de formes ;
Corps flasques et œil éternellement mis clos ;
Ils ont tout du végétal, sauf leur ventre énorme
Qui forme sur leur sexe une sorte d’enclos.

Et vous ne les voyez pas plus qu’ils ne vous voient,
Et ils tournent et ils tournent le tourniquet,
Et vous passer sans ouïr le son de leur voix
Qui claque dans les airs comme un petit hoquet…

Soudain ! Ils sortent de leur sommeil sans saveur
Pour une jolie femme qui en passant la porte
Inonde l’omnibus de sa douce rumeur.
Tandis qu’à l’arrière, clapotent les cloportes,

Leur bouche, qui n’était qu’un baveux plissement
Sur leur figure d’éponge, sort du silence
Pour évoquer les crasseux et mesquins cancans
Politiques radotés à la télé rance.

Ils s’agitent, ils parlent vite et avec cœur ;
Métamorphose du mollusque en poisson clown ;
Ils rient, râlent et moquent les dieux footballeurs
Qui, hier soir, n’ont pas su feinter la scoumoune.

Ah, s'ils pouvaient causer toute une éternité
Au chauffeur qui répond dans le rétroviseur !
Mais il y a un hic, absurde absurdité :
Il y a ce satané et gueulant moteur !

O Machine mourante qui hurle à la mort,
Que t’a-t-on placé entre ces deux compagnons ?
Tu es un bâillon à leur bouche ! Une mor
Sure à leurs tympans ! Le son de la Déraison !

Alors c'est sans voix que cobrador et chauffeur
Ramassent leur misère et leur corps encombrant ;
Et l’un retourne à son sommeil sans saveur,
Et l’autre écrase sa rage en accélérant…

Et vous ne les voyez pas plus qu’ils ne vous voient,
Et ils tournent et ils tournent le tourniquet,
Et vous passer sans ouïr le son de leur voix
Qui claque dans les airs comme un petit hoquet…

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